Puisqu'il faut commencer par le commencement
les premiers souvenirs d'un pays lointain
comme perdu dans une part de mémoire
lorsque la nuit tendait ses bras
pluvieuse et mordue
par les intervalles des lampadaires
son goût sensuel avalait tous les paysages
dont les architectures disparaissaient au goût de langues silencieuses
Que peuvent les mots
les développements et démonstrations
que peut-on faire pour vous
pour vous élever au vivre
et ne pas redouter à marcher sur les mains
Quel sens quel parti pris
offrir à ceux qui ne veulent ouvrir les yeux
Que sont les pourritures du présent
car rien ne dure plus d'un instant
aujourd'hui la réalité interprétative est éphémère
dans une intranquillité des jours tendus à l'extrême
plus rien ne bruit hormis dans les caves
où l'on réinvente des jacqueries modernes
Jamais
jamais la théorie esthétique ne s'est rendue
Jamais aucune flèche n'éteindra une étoile
La théorie esthétique rassemble peu à peu ses projets
car chacun construit ses défaillances avec des compromis au corps de vent
dans le strict respect d'un présent anodin
sirupeux et stérile
La société quadrillée est devenue aphone
et singulièrement destructrice
L'avenir n'appartient à personne
comme personne ne connaît mes rêves
rêver à cet avenir calme lumineux d'un bonheur désiré
toujours le même désir d'une forme alternative au langage
L'avenir n'a plus d'écho en l'étrange demeure
à terme
bonheur
qui n'entend plus
le fil confit
d'une guerre
perdue
une guerre finie
non déclarée
Déclarez la nouvelle guerre
Déclarez avec discernement les limites de l'impossible
rouvrir la porte
pour frapper l'ennemie
qui ne nous porte pas en son cœur
sabrez les étamines
colmatez les fissures de l'âme
et rompez le pain pendant qu'il est encore chaud
volez les brindilles pinceaux sur le sable
le moindre coup de vent refera la copie
prenez le temps pendant qu'il est encore vivant
et brisez les mensonges
nous ne sommes pas à confesse
serrez les bras écrasez les ombres
balayez mesdames
devant votre porte
n'oubliez pas les meurtres du monde
ils sont inscrits dans les rides de vos saisons
vous n'êtes pas seule à comprendre
car nous sommes tous
à l'identique
faits de la même chair
et des mêmes sensations
nous sommes ce que nous sommes
nous sommes
des hommes
non achevés
en partage
accrochés à la remorque du temps
Il nous a craché en plein visage
Les doigts se promènent dans la moiteur de mes nuits mortes
à la lumière du tout prochain jour
en franchissant les frontières symboliques
à la limite du port
plus personne ne m'a parlé dans les rues du matin
car nul ne peut lire les traces chinoises
converti à la saison muette
quand les bordels sont éteints
et que les façades des immeubles haussmanniens renvoient
une ombre géante
aucun des murs ne se souviendra de la trace
La vie se partage
les moments hésitent
le souffle se tarit
mais il n'existe aucun point à la volonté du survivre
on pense s'éteindre dans la monotonie des jours francs
et l'hérésie hante chaque instant
chaque minute chaque heure lente de chaque jour
Chaque heure est un film en devenir
car le présent ne peut exister
ne dure qu'un éphémère point souligné par le temps
le passé est réinventé
comme dans un conte
seul l'avenir immédiat se profile
s'annonce en une publicité d'espérance
Le présent n'existe pas
il se meurt dès que l'on prononce son nom
il se résume à l'épaisseur d'une feuille de papier
le présent se meurt
il gît sacrifié sur une pierre verticale
dans une épitaphe de sang
La vie se limite à une histoire
que l'on se rapporte indéfiniment
cherchant le sens
à qui donner
que l'on réécrit éternellement
selon la mesure du temps
La vie est une chimère écarlate
où nul ridicule n'a réussi à tuer
les personnes que nous fûmes
seul un et indivisible
et si nombreux dans le même temps
unique et multiple
pris en tranches deux par deux
Seul le visage en garde
les marques dans les rumeurs
des cicatrices
Si la vie est incertaine
comme une surprise surexposée
si le doute investit le présent
dans une geste malheureuse
et d'expériences triées sur le volet
si on ne sait jamais le pourquoi du comment
d'un immédiat de paroles hachées inexpliquées
les silences dessinent toujours le lendemain
quand le passé se réinvente
une fois à peine énoncé
si le sens fait défaut
se promène au cœur de chaque chose
l'obligation de se concentrer
d'observer chaque attitude chaque phrase
élève l'esthétique
au plus haut degré
rompt la déferlante de la répétition
écrase la monotonie des heures gâchées
et construit le miracle d'élégances nouvelles
la palmeraie des idées
en un seul mot
en définition
la beauté
Et la parabole des cimetières
seule issue connue et seule certitude
maîtrisée dont l'issue ne laisse aucun doute
certitude de l'incertain
à quelle heure il faudra mourir
libre
La fureur des temps imprécis
impatients
bousculent les prémices de la première réponse donnée
réfléchir prendre la pose
éliminer les scories des temps morts
avaler toutes les couleuvres possibles et imaginables
dans la pré-science des devenirs
multiples éclairés
Devant la ruine des présents apoétiques
revient l'ère de la mystification du rite
où l'on verra la poétique renaître de ses cendres froides
et fluides
il n'y a plus rien à attendre
plus rien à dire à espérer
La réinvention de la poésie comblera les ruines
poussera la vie au cœur de ses tourments
et il nous faudra bien apporter les réponses
dire les choses les plus mûres
pour désenfouir les survivants
pour que la lumière réveille les yeux
à naître
J'oublie les vacarmes et la course folle
les obstacles sont à l'image construits de rien
quand il faudrait enfin pouvoir dormir
serrant le corps de l'oreiller et
rêver au rêve étrange de la réalité qui a changé ses vieux habits
C'est à ce moment sublime aussi que le rêve devient la réalité
mais je ne demeure pas le maître de mes nuits
Et si la vie s'enchaîne
marque le pas
qu'avons-nous fait de nos vingt ans et de nos espoirs
fous nous ne voyions pas la réalité et portions nos rêves
comme une balafre transparente
le dépôt de bilan n'est plus empreint d'une rancune
que l'on se porte
alors que nous sommes si nombreux
à s'asseoir sur les marches
à regarder la paume de nos mains
sans cales
nous voulions transporter le monde
nous voulions l'amour
l'amitié et les joies d'une vie heureuse
nous n'avons rien eu que les souffrances de l'attente
nous n'avons rien tout est parti
nous n'avons rien su retenir
et avons quitté le combat par la petite porte
la lâcheté nous achève peu à peu
parce que nous savons que le courage et la ténacité
sont les uniques marques des vertueux
sabordés saboteurs piégés à nos propres mensonges
nous avons refusé la vérité d'être nous
nous-mêmes malgré eux malgré nous
notre pire ennemi
Mais le pire est à venir
quand les larmes mélangées à la saveur du sang
nous retrouveront
surpris et toujours un peu seul
C'est alors qu'il faudra bien renaître
à la jouissance de l'aube
à la puissance du temps
renaître à chaque saison
en écoutant les rythmes lents des amours
dont on dit qu’ils s’avèrent aujourd’hui impossibles
lorsque chaque jour construit les murs d’une maison
que l’on voudrait enfin nôtre
Si nous avions perdu toute la mémoire de la réalité
de l'horreur
quand les saints plient le doigt le soir
de l'horizon bouché
et murmurent dans le plissement de leurs yeux pleins
viens
viens
viens
fin