Jean-M. Platier
Je revendique
un poème sans fin
à Paris,
le 1er décembre 2008
à ma femme
Je revendique
Ma naïveté nocturne
Des jours foudroyés
Dans la foudre des jours
Vidés du cœur de la nuit
Privé de l’essence même
Du sens d’être un être humain
Constitué de colère
De joie et de chagrin
Je revendique
D’être un peu aimé
Dans cette froideur de la nuit
Brune et figée
Dans ce sommeil de l’ombre
Qui garde et menace
La fureur ignifugée du nombre
L’espérance écarlate
Coincée entre la raison
Et les saisons du rouge
Versé dans la crainte de finir seul
Absorbé par ces paroles géantes
D’une couleur qui digère mal
Les souffrances imposées
Je revendique tout le bien et le mal
La douceur antonyme et le bruit des fautes
Je suis la conscience abattue
Le savoir plein et sachant
La colère qui remonte des origines
Grimpe après tous les miroirs
Aux alouettes grises
La vérité et le mensonge
La caresse et les coups
Qui frappent et ratissent
Toutes les métamorphoses
Qui jubilent qui calculent
Leur hypocrite langueur
Qu’ils sont loin les jours gais et las
Les jours attendus avec impatience
Les soirées allumées du soleil du jour
Différent en cela
De l’avenir béant
Les courses contre le temps
Les jeux des vainqueurs insolents
Et les premières danses de l’ultime transe
Je ne joue pas la comédie
Il y a longtemps que le théâtre est clos
Je dis tout et renverse le jeu
Tout en calmant la tempête
Qui hante et détruit sous les risées
Le contraire de la prospection
Cette négation de la liberté
Pourtant qui suis-je pour imposer
Ma vision
Pour dire ce qui sera
Ce qui fut
Et adviendra
Par delà le cycle des saisons
Les ravages à craindre
Les prisons de l’âme
Oui qui
Peut affirmer la sensation des maux
De penser construire
Et bâtir la beauté
Je ne suis un renégat
Pour personne d’autre que les traîtres
Et mes habits hantés
Ne me sied guère
Je n’ai pas endossé
Le nom du mal
Et un costume de première taille
Je théorise en premier lieu
La naissance d’une nouvelle ère
Peut-être est-il trop tôt
Ou bien trop tard
La camisole invisible
Vous entoure
Censée vous protéger
Contre vous-mêmes
Car il fut un temps
Où l’on pouvait rire de tout
Et aujourd’hui le rire est éteint
Ou cartographié
Car le vin est cher
Enfouis les rêves d’absolu
Et mon peuple ne sait plus s’amuser
Je porte le deuil de mes illusions
A la boutonnière
Dans mon illégitimité évidente
Tels des ravages au prix lourd
Des escarmouches faciles
Ces paroles portées
Par la langue de nos pères
Et de nos mères
Appelée à disparaître
Dans une médiocrité ambiante
La lâcheté des pratiques non démocratiques
Je porte la culture française des gens niés
Par trente années de défaites politiques
Programmation du paraître
A des fins peu avouables
Je réfute et condamne la damnation
Des enjeux idéologiques
Et il n’y a plus de terre
Où résister à la fatalité
Peu importe le nombre
Les couleurs
Les vocables énoncés
Ma révolte est constamment à la pointe
Même si elle se trouve peu prononcée
Projetée à la frontière de l’indicible
Qui est de taille
Le temps présent n’existe
Dans la solitude populaire
Pour se lever contre
Dans la division hachée
Revendiquée de la désillusion
Les maladies infantiles rugissent
Et montrent leurs petites dents
Piètres enfants gâtés
Aux sollicitations faciles
Au verbe haut
Et à la main froide
Ils ne font que panser l’ignorance
Permettez-moi de remettre
En l’état la situation conquise
Tel l’ambre empreinte des cadavres immolés
Le couteau du temps efface la parole
Mais jamais les traces permanentes
Dans l’affirmation énoncée Que faire
Laisser ces projections
A la disposition du vivant
Signifie la réalité
Concrète du cheminement
Et aucun mais alors aucun
Message ne pourra contrer l’évidence
Le mouvement lancé
A toute vitesse contre
Toujours contre
Car le pouvoir est le mal absolu
Je revendique le droit
D’être libre
De mon temps
De mon amour pour
Lutter contre le temps
Et de partager
La nécessaire nourriture
Qui change et qui grandit
Les instants de bonheur
Qui restitue aussi l’honneur
Dans sa juste dimension
Et rétablit la saveur âpre
De l’amour après le feu
Les cris les coups
Il faut faire face désormais
Car les paroles tues sont vides
Le français est devenu une langue morte
Les idées des conserves périmées
Et la beauté des mots
De la langue notre langue
Est archivée dans les musées
Sous un film de poussière
Qui enterre
Dans une phrase posthume
Les commentaires d’un assassinat
Programmé sous le Troisième Reich
Et mis en scène par Leni Riefenstahl
Dont la partition est jouée depuis trois décennies
Sous nos yeux incrédules
Il n’y a plus de place pour l’attentisme
Pour la compromission
Et les calculs de basse manœuvre
Il faut énoncer les idées simples
De l’injustice
Le constat de l’inégalité
La négation de la liberté
Et surtout l’absence de fraternité
Mais je n’ai pas fini l’inventaire
De l’interminable liste des trahisons
Du bon sens
J’empile d’interminables manuscrits
Des professions de foi
Et la voix des combattants
De ceux qui ont toujours perdu
Dans le passage du Guadalquivir
Ou Joël Fieux abattu dans les collines de Managua
Les fusillés du petit jour avec Lorca
Les otages de la raison d’état
Jusqu’à l’auteur du Nixonicide
Abandonné seul à son cœur contre
Le plus fort le plus vil
Celui qui n’a jamais d’état d’âme
Sabre et goupillon de connivence
Je revendique des incendies féériques
De solstices d’été ou d’hiver
Leurs propositions d’infortune
Banal l’étonnement
Banal le silence des hommes
Le fourmillement naturel
L’orchestre secret des insectes et des fleurs
Et le déluge des pollens au printemps
Les fruits les baies les châtaignes offertes
Tout est à nos pieds
Et la brume couvre soudain la plaine
De nos chants sincères sinon talentueux
Alors les femmes étaient comme ces saisons
Changeantes et brutales
Devant l’hésitation juvénile
Suaves et douces dans l’indécision
Sévères et terribles dans la vengeance
Et le massacre des ambitions chétives
J’ignore le poids des années crevées
Je l’ai répété maintes fois
Dans la banale saveur des mots
Qui franchissent le pas
Qui conquièrent les murs
Épais et droits
J’entends et n’oublie pas
C’est la moindre des choses
Pour sortir du moins
Tenter de passer au travers des gouttes
Particule sans nom
Sans nom de l’enfance
Ephémère continuité
Chaque tranche de vie
Se succède à elle-même
Perdant un peu plus
Son innocence désemparée
Mon dieu pourquoi
M’as-tu abandonné
Dans l’Evangile selon Saint Mathieu
Se posent depuis toujours
Les mêmes questions obsédantes
Et l’on ne connaît que trop la réponse
Et les bienfaits de l’ignorance
Je revendique les mots dits crus
Les mots et leur faim qui fait mal
Qui blessent et nettoient toutes
Je dis toutes les plaies
De l’inconscience
Brise l’histoire la littérature des grèves
La poésie des champs de bataille
L’intime sort réservé à nos pères
Et l’air du temps qui a construit
Tous ces murs invisibles
Et pourtant acceptés
Comme un juste retour des choses
Du progrès de la diversité
Cette vacuité qui établit
Les idées à croire
Dans la décadence programmée
De la langue de bois
De la langue de pute
De la langue cicatrice
Equarrie et honteuse
Manipulée circonscrite
Sans saveur ni contenu
Sans rien du tout
Désormais
Il n’y a plus de place au hasard
Dans ces temps incertains
Blessés d’extrême confusion
Et finalement désespérés
On mesure alors à leur juste valeur
Les pertes immenses innombrables
De l’individualité portée en étendard
Leur fadeur triste et anxiogène
Leur nullité fatale
Pourquoi
En sommes-nous arrivés là
Dans le grand retournement
Le bouleversement de l’humanité
Rendue sans grade
Dans la confusion des sentiments
Lorsqu’on nous fait prendre
Des vessies pour des lanternes
Quand la gauche revendique la droite
Quand le fascisme religieux est l’allié objectif
Du progrès de ne plus penser du tout
Aujourd’hui on est libre
Libre de se taire
De subir la loi inique
De l’absence d’avenir commun
De l’accélération de l’espace
La terre est finie dans son ultime acception
En repartant à la source
Dans l’affirmation de
Qui je suis
Pour reprendre l’antienne pasolinienne
Il faut reconstruire le projet gramscien
Et repartir comme après chaque génération
La nôtre aphone
La nôtre solitaire
La nôtre abattue faute de combats gagnés
C’est là une évidence
Du complot du silence
Il faut le clamer
Dans le rappel des jours
D’attente sans gloire
Pour qu’on n’oublie pas
Ce qui aurait pu être
Ce savoir élémentaire
Cette poésie nouvelle
Inexplorée je dis inexplorée
Je revendique la démesure
Et l’exagération
La folie du désespoir
Et la beauté du réalisme
Car on fait le constat
Que la réalité ne fait plus partie
Du domaine de la vie des arts
Et la littérature
Et le cinéma
Sont complètement vides
Vidés depuis trente ans
De l’expérience humaine
De la réalité populaire
Je revendique
De porter mes mots
Au-delà de la passion
Je revendique
De dépeindre l’autre face
De l’horizon
Je revendique
De boire
Les paroles que j’aime
Je revendique
Le plaisir
Pour arrêter le temps
Je revendique
Le corps de toutes les femmes
Enceintes de mon regard
Je revendique
La soupe
Aux fayots blancs
Je revendique
Le sucre et le sel
Ensemble
Je revendique
Mes amis
Plus que moi-même
Je revendique
Tous les livres tenus
Plus précieux que l’or
Je revendique
La poésie
Des jours sales
Je revendique
Mes chansons
Ephémères
Je revendique
Le soleil dans la nuit
Et le jour de Peter à toutes heures
Je revendique
Mes carences
Leur désastreuse infortune
Je revendique
Mes projets immenses
Lancés à chaque coin de rue
Je revendique
Ma vie
Comme une offrande à mon lecteur
Je revendique
Ma seule liberté
Pour survivre
Je revendique
Ma poésie
Riez oui ma poésie
Je revendique
Cette épouse indifférente
Qui a honte de moi
Je revendique
Quand elle me dit de bon cœur
Que je ne sais rien faire
Car chaque jour qui passe
Sans une émotion d’écriture
Sans un opéra de tendresses
Sans un théâtre grandiloquent
Sans une partition
D’opéra frénétique
Ou sans mon film de chaque minute
De chaque instant dépassé par les événements
Ne ressemble à rien
Et me tue m’assassine sûrement
De cette ignorance
Me détruit de ne pas pouvoir accomplir
Dans l’abrutissement de chaque jour
Le dessein secret
Et étrange du héros
D’un voyage par dessus les saisons
Dans le corps profond
Qui supporte
Transporte et puis soupire
Vers une autre contrée
Pleine de sang de veines
Et de conjugaisons muettes
Je suis celui qui n’a besoin
Qu’un peu de traces
Pour laisser deviner le lendemain
Ivre toujours ivre
De prendre de déchirer
De palper le sein de ma main
Pour lever la pâte
Pour lever
Lever toujours lever
Pour ne plus être à l’étroit
Dans le corps de la société
Pour casser les connivences
Casser le sens étroit
Casser les murs et les voix
Qui marmonnent la faillite
La revanche des monstres
Des vilains et des fours crématoires
Telle est ma simple grammaire personnelle
Je revendique
Depuis fort longtemps
Le premier et l’unique
La phrase magique
Le moment clé d’une joie
Presque divine
La rencontre de la beauté
Le paysage universel conquis
Ce tableau magistral
Ou ces vers fragiles
Ces magnifiques vers
Qui emmènent
Détruisent et
Dans le même temps
Construisent un nouvel être
Une nouvelle ère
Par des mots jamais portés
L’histoire des histoires
Le nouvel éden terrestre
Je revendique à le croire
Et à porter le fer brûlant
Pour détruire la maladie
Les plaies les plus profondes
En rapport auxquelles le plus vil
Des martyrs n’est qu’une banale esquive
Laissez-moi vivre pour une fois
Ainsi en va le destin des civilisations
Ecrasées du poids de l’indifférence
Et de la guerre menée de tous
Contre tous les peuples
Par tous les pouvoirs
Une guerre sans nom
Justifiée par les frontières
Les religions ou les nations
D’étranges paradigmes inventés
Créés de toutes pièces par l’homme
Pour détourner son prochain de la vérité
De l’espoir commun
De cette gloire devinée
Innée qui mène au-delà de la raison
Cet écran de vie de couleurs
Ou d’hallucinations d’éternité
Je revendique
Le droit nécessaire
D’éclairer la nuit
Où nous nous mouvons
La nuit de la médiocrité
Où notre jeunesse se fond
Dans l’illusion de la marchandise
Des contrats immoraux
Et de l’artifice mondain
Les spasmes venus d’en bas
De la connivence suggérée en permanence
Entre ceux qui jouent de la déchéance
Et qui poursuivent leur but de domination
Et la troupe qui suit infantile
Avec ses uniformes contemporains
De chevelures colorées
Ses trous dans les pantalons identiques
Les chairs transpercées de métal
De tatouages iconoclastes et semblables
Pour toutes ces femmes factices
Aux mêmes schémas obscènes
Niant le corps et l’âme en matière plastique
Conformes à l’air du temps imbécile
Digne d’une République de Salo ubuesque
Et la bourgeoisie rit
De tant de détails secondaires
Et la bourgeoise se pâme
Devant tant de révoltes avortées
Et que tout cela coûte cher
Des journées de labeur
Sans chaleur
Sous rémunérés
Sinon par des appellations correctes
Dans leur accord second
Et que le premier n’est que la corruption
De l’aliénation imbécile
De l’exploitation facile
Pour leur force de reproduction
Et tout le monde le sait
Et tout le monde l’accepte
Et chacun se faufile
Dans la liste des récipiendaires
Pour connaitre l’instant de légende lacrymale
Et entrer dans le royaume
De la valse de l’image
Des pleurs et de l’émotion angélique
La terreur de l’infantilisation
Ce nouvel ordre fasciste contemporain
Négateur des libertés
Qui se résume d’avoir sa photo dans un journal de PQr
dans la rubrique nécrologique ou des accidents de voiture
Ou mieux avec la mention
Vu à la télévision
Je revendique alors
La formule reprise depuis en opuscule
Seule la révolution fait le beau temps
Je revendique
L’idée
Que jusqu’alors
Nul n’a trouvé
Le moyen féroce et neuf
Pour renverser le cours des choses
De l’ordre crapule
Nul n’a levé les troupes
Pour renverser le pouvoir
Virtuel qui abandonne la réalité
L’arme précise
L’arme pratique
Qui taillera dans le vif
Alors qu’il suffit de très peu de choses
Pour renverser
L’ordre inique
Ce monstre vil qui est en chacun de nous
Je revendique
L’absolu
Je revendique
L’amour
Même si cela peut faire sourire
Je revendique
Le temps clair
De la liberté de l’air
Je revendique le froid
Puissant et lourd
De cet hiver à Kazan
L’arrêt soudain du voyage à l’Est
La neige qui n’arrive pas
Au milieu de décembre
L’enfant qui crie
Qui ne veut jamais dormir
Car il ne faut pas
Il ne faut jamais oublier
Sa propre enfance et ses couleurs
L’attente de ce qu’il advint rarement
Je revendique
Mon choix viril
D’être en vie encore
Malgré les chutes
Que seul je connais
Et que vous ne lirez pas
Car il n’y aura bientôt plus de place
Dans l’enceinte du monde
Je revendique
Le soleil
L’eau et le pain
Le sel et la mer
Je revendique
Le long territoire
Des saisons de l’enfance
Je revendique
Le silence absolu
Les particules de chaque seconde
Mais aujourd’hui tous les symboles
Sont prisonnier de la glace
Pour plusieurs générations
Etanches à la Vie Nouvelle
Je revendique un banquet généreux
Car les jours sont trop monotones
Et que chaque jour qui passe
Sans être une fête immense
Est un jour de perdu
Un véritable Enfer
Je revendique
La lutte contre la fatalité
La négation de la mort
La fin des monstres religieux
Et même si mon catalogue
Est plutôt long
Je le porte en bandoulière
Sur tous les fronts
Comme j’ai porté durant dix ans mon Stylo
Au musée soviétique de Mockba
Place Loubianka dédié à
Vladimir Vladimirovitch
Je revendique
Sans cesse et à corps
Et à cris
L’instant propice
Où tout peut se passer
Où tout peut arriver
La première rencontre
Le premier amour
La fièvre des autres jours
Quand nous pourrons enfin
Etre définitivement heureux
Alors que rien n’est écrit rien n’est dressé
Dans la liste la longue liste
De ce que nous voudrions
Faire comme si demain peut exister
Dans nos pensées
Refaire le tour de rêve
Et revivre l’instantané
Oubliant les chagrins et les peines
Les désastres qui ont ruiné
Notre souffle et brûlé
Nos dernières larmes
Je revendique
L’effigie nue
De lendemains plus clairs
De moments plus propices
Dans l’amitié de mes frères d’arme
C’est à ce moment précis
Que les vraies paroles
Transcendent les distances
Entre les hommes
Pour nous réunir
Vraiment
Je revendique
Les temps anciens oubliés
Les temps effacés de leur mémoire
Ce temps dont il ne reste rien
Que l’impression des vivants
Les paroles des derniers témoins
Dans leur vibrante mémoire
Mais le passé est définitivement mort
Vibrant entre les ruines d’aujourd’hui
De ce qui fut
De ce qui n’est plus
Mis à part l’instant éphémère
Je revendique
Aussi tous les excès
Les cris les fureurs
Les drames et les romans inachevés
Nos nuits d’alcool et nos cigarettes gaspillées
Car il fallait dire
Il nous fallait avouer
Tout ce que nous avions à dire
Car personne ne nous a cru
Ni jamais écouté avant
Je revendique
L’anarchie
Des jours désordonnés
Des jours sans gloire
Des jours sans peine
Des jours sans conflits
Ni mauvaise nouvelle
Des jours simples
Qu’il faudrait marquer d’une pierre blanche
Je revendique
Le silence me réveille
Loin de la vie facile
Des voyages au lointain
Je revendique
Ma vérité plus vraie que nature
La sobriété avant de se découvrir
Dans une seconde nudité
Je revendique le calme la beauté
Le certain
Je revendique
L’oubli le pardon atroce
Et désormais je tourne
Sept fois la langue
Dedans ma bouche
Je revendique
Les escales le très grand froid
Par moins trente degrés
Pour figer enfin le monde
Mais
Je revendique
Toujours la vie obsédante
La vie qui tourne sans halte
Qui ne peut s’arrêter
Le temps de construire
Le connu et l’inconnu
Je revendique
Le sang
Qui me paralysait
Me vrillait
Le sang bouillant
Plus que la justice
Pour une fois sur terre
Je revendique
Le carnaval des pleutres
Je revendique
Tous les hémisphères
La noblesse de l’art
Notre seule richesse
Car il ne restera rien
Des petites bassesses
Des crétines mesquineries
Rien qu’un souvenir
Pour une ou deux générations
Et puis rien
Que des photos jaunies
Qui se déliteront
Dans le désastre du papier
Je revendique
Le droit d’être au monde
Dans son acception hasardeuse
Je revendique
Le merveilleux pouvoir des mains
Je revendique
La connaissance
Le contenu rigide du difficile
L’apprentissage de toute une vie
Par delà les latitudes du rêve
Je revendique
L’immense bonheur d’être né
De ce côté de la terre
Dans le livre mécanique
Des rues de Paris qui défilent
Qui s’ouvrent magiques
Sur des ponts immémoriaux
Fantômes du petit matin
Je revendique
Que le silence me réveille
Que ma faim entraine le sommeil
Que mon amour tend
Vers une échelle tellurique
Et que les enfants nés
Ou à naître
Porteront mon idéal
Comme un emblème un féal
Au-delà de tous les siècles
Je revendique
Le droit de dire et d’écrire
Même si cela compte pour si peu
Mon refuge
Mon château-fort
Mon île naissante
Ma partition de l’impossible
Je revendique
Un poème
Sans fin
Je revendique
Toujours et bien que je sois loin
De mes amis mes parents
De mes alliés sur cette terre
Je revendique
Le droit de contester
L’ordre inégal du monde
La terreur faite à tous les faibles
Le malheur fait aux pauvres
L’arrogance des puissants
Le pouvoir fou de l’argent
La supercherie des religions
La folie de la misère
Le crime des banques
Le désastre planétaire
La misère culturelle
Le massacre des innocents
Le scandale de la mort
Je revendique
La mise hors la loi
De la bourgeoisie décadente
L’abolition des drogues médiatiques
Le rétablissement de l’appareil
Du bon docteur Guillotin
Pour les faire revenir à la réalité sur terre
Pour les voir cracher au bassinet
Je revendique
Le temps revenu de la guerre populaire
Des croisades contre la faim
L’Europe peut devenir le chant
De la liberté sur terre
Et la France de nouveau
La nation de toutes les révolutions
Je revendique
Le droit de la reconquête
Le temps de la mobilisation
Je revendique
Le rêve
La liberté
La conscription générale
La poésie au service de l’universel
L’avenir déclaré ouvert
A tous les amants sans lendemain
Je revendique
Un poème sans fin
Qui ne peut avoir jamais de fin
Un poème sans gloire
Un poème d’airain
Un poème finalement très humain
Malgré le complot du silence
Demain
Je revendique
La seule révolution
Qui reste à inventer
Celle d’un poème
Qui ne peut avoir
De fin
Un long
Poème
Sans fin
à Kazan, Russie,
les 25 / 30 décembre 2008
le 5 janvier 2009
Ce texte constitue la deuxième partie du livre La première couleur quand on vient au monde est le rouge, publié par les éditions Le bruit des autres, en mars 2011. Disponible chez l’éditeur : "le bruit des autres" <lebruitdesautres@orange.fr>, et dans toutes les bonnes librairies…