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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 14:11

Bonjour,

Mon dernier livre Crever la route (tandem actualiste), co-écrit il y a déjà 10 ans, avec Thierry Renard et avec des illustrations de Roxane Maurer (en cahier central couleur pleine pages) vient de paraître aux Cahiers de l'indocile ! 

"La collection Les Cahiers de l'Indocile propose de donner à lire des textes pour la plupart inédits, d'hier et d'aujourd'hui. Elle entend promouvoir l'idée que l'art est politique et que toute expression artistique vise le bonheur commun. Elle est dirigée par un collectif indépendant. Crever la route est le numéro 1 de la collection."

Qu'on se le dise !!!!

C'est un livre de 121 pages, au prix modique de 10 euros, paru en nov. 2011 ; disponible chez l’auteur (merci à tous ceux qui le voudraient de m'adresser un chèque avec les frais postaux - 2 euros).

L'avant-propos de Benoît Guillemont signale en 4ème de couverture : 

Par-delà cette rencontre impossible, par-delà ce dialogue poétique en direct, par-delà cette confrontation créatrice, il reste notre humanité. Avec ses failles et ses hésitations. Avec ses erreurs et ses bonheurs. Et le poète est là plus que jamais aujourd'hui pour tout bouleverser. Mon âme et le monde. Mes certitudes et mes combats. Avec Crever la route, nous sommes dans une partition à deux qui rend compte de cette dualité de la vie pour entrevoir enfin l'absolu de la liberté. BG

Avec toutes mes sincères amitiés,

jm

  

Vient de paraître à l’enseigne des Cahiers de l’Indocile :

 

Crever la route

 

Textes 

de Jean-Michel Platier & Thierry Renard 

Illustrations originales

de Roxane Maurer

 

Avertissement

Le temps passe, les hommes filent, les générations se succèdent mais les mots demeurent. C'est pourquoi toute tentative pour apporter ici ou là quelques réponses est salutaire. Les champs magnétiques de Philippe Soupault et André Breton, Aisha de Serge Sautreau et André Velter, comptent parmi ces ouvrages utiles qui continuent d'agiter, longtemps après leur parution, les chapes de plomb du verbe et les couvercles de l'ennui.

Poésie, amour et liberté sont les trois rêves fous qui doivent, coûte que coûte, tourner toutes les pages de nos livres. Avec Crever la route, Jean-Michel Platier et Thierry Renard ouvrent à nouveau les portes de la chambre d'échos.

La filiation est assurée. Les émotions ont des habits neufs ! Vous allez pouvoir vous laisser porter par les vents sur les routes de la révolte et de l'amour, et vous laisser saisir, aussi, au bond.

Ne vous vivez pas en désespérés, mais vivez plutôt à l'enseigne de la poésie,  du côté des crêtes et de la lumière. Sans trop tarder, mangez ce livre. Et faites de votre existence un grand bal de printemps, ordinaire et subjectif. Aucun hasard ne mérite d'être épargné.

 

          Nos livres seront nos bombes !

 

 

I

 

Opéra en 24 heures

 

à B. B.

 

 

Paris, le 5 novembre 2000

Suze-la-Rousse, le 31 décembre

Vénissieux, le 5 janvier 2001

Rochefort-sur-Loire, le 25 février

à 3 h 45, du matin

Plozévet, le 23 juillet

Saint-Julien-Molin-Molette, le 31 août 2007

 

 

La nuit ronfle sur la terre et se débat dans un mauvais rêve…

 

Georg Büchner, La mort de Danton

 

 

MaNiFeStE en Quinconce

 

Adieu mes amours

 

adieu ma vertu

 

adieu mes bonheurs urgents

 

Je n’ai plus l’heure de mes choix

 

là où ma voix demeure

là où les chiens se meurent

 

Il est temps de dormir à l’étable, au cœur de la boue, l’âme perchée au milieu des fumiers, le sexe mort, la bouche hurlante d’aucun son et les yeux crevés des mille morts à venir…

 

 

Alors réveillons-nous dans le petit matin

à peine levé et déjà couvert de brume

Dans le petit matin aux cheveux hirsutes

au teint pâle

délavé

et aux yeux peints

Alors réveillons-nous pour de bon et pour à la radio écouter

musiques variées à nos oreilles accrochées

chansons faciles à glisser dans la fente de nos mémoires

temps à nos lèvres rouges suspendu

Alors réveillons-nous !

 

 

               Réécrire pour toujours l’ère du temps, dénoncer tous les crimes et leur faire mordre la poussière, balancer l’hymne des exclus de la terre par-dessus les têtes tranchées de frais, corrompre l’injustice au plus près et jeter les miettes aux orties ; leurs brûlures se transmettront par les liens du sang.

 

Epilogue

 

Le temps a passé au fil de sept longues années, les hommes ont filé, les générations se sont succédées dans toutes leurs trahisons, mais les mots demeurent. C'est pourquoi notre tentative d’apporter ici ou là quelques réponses est définitivement salutaire. Qui je suis de Pier Paolo Pasolini, Comment écrire des vers de Vladimir Maïakovski, comptent parmi ces ouvrages utiles qui continuent d'agiter, longtemps après leur parution, les chapes de plomb du verbe et les couvercles de l'ennui.

Poésie, amour et liberté sont les trois rêves fous qui doivent, coûte que coûte, tourner toutes les pages de nos livres. Avec Crever la route, Jean-Michel Platier et Thierry Renard ont ouvert à nouveau les portes de la chambre d'échos.

La filiation est assurée. Les émotions ont de nouveaux habits ! Vous allez pouvoir vous laisser porter par les vents sur les routes de la révolte et de l'amour, et vous laisser saisir, aussi, au bond.

Ne vous vivez pas en désespérés, vivez plutôt à l'enseigne de la poésie, du côté des crêtes et de la lumière. Sans trop tarder, mangez ce livre. Et faites de votre existence un grand bal de printemps, ordinaire et subjectif. Aucun hasard ne mérite d'être épargné.

 

          Nos livres sont nos bombes !

 

 

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Vous pouvez aussi commander ce livre à :

 

Espace Pandora

7 place de la paix

69200 Vénissieux

tél. : 04 72 50 17 78

 

espacepandora@free.fr

 

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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 21:17

Jean-M. Platier

 

 

 

Je revendique

un poème sans fin


 

à Paris,

 le 1er décembre 2008

 

à ma femme

 

Je revendique

Ma naïveté nocturne

Des jours foudroyés

Dans la foudre des jours

Vidés du cœur de la nuit

Privé de l’essence même

Du sens d’être un être humain

Constitué de colère

De joie et de chagrin

 

Je revendique

D’être un peu aimé

Dans cette froideur de la nuit

Brune et figée

Dans ce sommeil de l’ombre

Qui garde et menace

La fureur ignifugée du nombre

 

L’espérance écarlate

Coincée entre la raison

Et les saisons du rouge

Versé dans la crainte de finir seul

 

Absorbé par ces paroles géantes

D’une couleur qui digère mal

Les souffrances imposées

Je revendique tout le bien et le mal

La douceur antonyme et le bruit des fautes

 

Je suis la conscience abattue

Le savoir plein et sachant

La colère qui remonte des origines

Grimpe après tous les miroirs

Aux alouettes grises

La vérité et le mensonge

La caresse et les coups

Qui frappent et ratissent

Toutes les métamorphoses

Qui jubilent qui calculent

Leur hypocrite langueur

 

Qu’ils sont loin les jours gais et las

Les jours attendus avec impatience

Les soirées allumées du soleil du jour

Différent en cela

De l’avenir béant

Les courses contre le temps

Les jeux des vainqueurs insolents

Et les premières danses de l’ultime transe

 

Je ne joue pas la comédie

Il y a longtemps que le théâtre est clos

 

Je dis tout et renverse le jeu

Tout en calmant la tempête

Qui hante et détruit sous les risées

Le contraire de la prospection

Cette négation de la liberté

 

Pourtant qui suis-je pour imposer

Ma vision

Pour dire ce qui sera

Ce qui fut

Et adviendra

Par delà le cycle des saisons

Les ravages à craindre

Les prisons de l’âme

Oui qui

Peut affirmer la sensation des maux

De penser construire

Et bâtir la beauté

Je ne suis un renégat

Pour personne d’autre que les traîtres

Et mes habits hantés

Ne me sied guère

Je n’ai pas endossé

Le nom du mal

Et un costume de première taille

Je théorise en premier lieu

La naissance d’une nouvelle ère

Peut-être est-il trop tôt

Ou bien trop tard

La camisole invisible

Vous entoure

Censée vous protéger

Contre vous-mêmes

Car il fut un temps

Où l’on pouvait rire de tout

Et aujourd’hui le rire est éteint

Ou cartographié

Car le vin est cher

Enfouis les rêves d’absolu

Et mon peuple ne sait plus s’amuser

Je porte le deuil de mes illusions

A la boutonnière

Dans mon illégitimité évidente

Tels des ravages au prix lourd

Des escarmouches faciles

Ces paroles portées

Par la langue de nos pères

Et de nos mères

Appelée à disparaître

Dans une médiocrité ambiante

La lâcheté des pratiques non démocratiques

Je porte la culture française des gens niés

Par trente années de défaites politiques

Programmation du paraître

A des fins peu avouables

Je réfute et condamne la damnation

Des enjeux idéologiques

Et il n’y a plus de terre

Où résister à la fatalité

Peu importe le nombre

Les couleurs

Les vocables énoncés

Ma révolte est constamment à la pointe

Même si elle se trouve peu prononcée

Projetée à la frontière de l’indicible

Qui est de taille

Le temps présent n’existe

Dans la solitude populaire

Pour se lever contre

Dans la division hachée

Revendiquée de la désillusion

Les maladies infantiles rugissent

Et montrent leurs petites dents

Piètres enfants gâtés

Aux sollicitations faciles

Au verbe haut

Et à la main froide

Ils ne font que panser l’ignorance

Permettez-moi de remettre

En l’état la situation conquise

Tel l’ambre empreinte des cadavres immolés

Le couteau du temps efface la parole

Mais jamais les traces permanentes

Dans l’affirmation énoncée Que faire

 

Laisser ces projections

A la disposition du vivant

Signifie la réalité

Concrète du cheminement

Et aucun mais alors aucun

Message ne pourra contrer l’évidence

Le mouvement lancé

A toute vitesse contre

Toujours contre

Car le pouvoir est le mal absolu

Je revendique le droit

D’être libre

De mon temps

De mon amour pour

Lutter contre le temps

Et de partager

La nécessaire nourriture

Qui change et qui grandit

Les instants de bonheur

Qui restitue aussi l’honneur

Dans sa juste dimension

Et rétablit la saveur âpre

De l’amour après le feu

Les cris les coups

Il faut faire face désormais

Car les paroles tues sont vides

Le français est devenu une langue morte

Les idées des conserves périmées

Et la beauté des mots

De la langue notre langue

Est archivée dans les musées

Sous un film de poussière

Qui enterre

Dans une phrase posthume

Les commentaires d’un assassinat

Programmé sous le Troisième Reich

Et mis en scène par Leni Riefenstahl

Dont la partition est jouée depuis trois décennies

Sous nos yeux incrédules

Il n’y a plus de place pour l’attentisme

Pour la compromission

Et les calculs de basse manœuvre

Il faut énoncer les idées simples

De l’injustice

Le constat de l’inégalité

La négation de la liberté

Et surtout l’absence de fraternité

 

Mais je n’ai pas fini l’inventaire

De l’interminable liste des trahisons

Du bon sens

J’empile d’interminables manuscrits

Des professions de foi

Et la voix des combattants

De ceux qui ont toujours perdu

Dans le passage du Guadalquivir

Ou Joël Fieux abattu dans les collines de Managua

Les fusillés du petit jour avec Lorca

Les otages de la raison d’état

Jusqu’à l’auteur du Nixonicide

Abandonné seul à son cœur contre

Le plus fort le plus vil

Celui qui n’a jamais d’état d’âme

Sabre et goupillon de connivence

Je revendique des incendies féériques

De solstices d’été ou d’hiver

Leurs propositions d’infortune

Banal l’étonnement

Banal le silence des hommes

Le fourmillement naturel

L’orchestre secret des insectes et des fleurs

Et le déluge des pollens au printemps

Les fruits les baies les châtaignes offertes

Tout est à nos pieds

Et la brume couvre soudain la plaine

De nos chants sincères sinon talentueux

Alors les femmes étaient comme ces saisons

Changeantes et brutales

Devant l’hésitation juvénile

Suaves et douces dans l’indécision

Sévères et terribles dans la vengeance

Et le massacre des ambitions chétives

J’ignore le poids des années crevées

Je l’ai répété maintes fois

Dans la banale saveur des mots

Qui franchissent le pas

Qui conquièrent les murs

Épais et droits

J’entends et n’oublie pas

C’est la moindre des choses

Pour sortir du moins

Tenter de passer au travers des gouttes

Particule sans nom

Sans nom de l’enfance

Ephémère continuité

Chaque tranche de vie

Se succède à elle-même

Perdant un peu plus

Son innocence désemparée

Mon dieu pourquoi

M’as-tu abandonné

Dans l’Evangile selon Saint Mathieu

Se posent depuis toujours

Les mêmes questions obsédantes

Et l’on ne connaît que trop la réponse

Et les bienfaits de l’ignorance

Je revendique les mots dits crus

Les mots et leur faim qui fait mal

Qui blessent et nettoient toutes

Je dis toutes les plaies

De l’inconscience

Brise l’histoire la littérature des grèves

La poésie des champs de bataille

L’intime sort réservé à nos pères

Et l’air du temps qui a construit

Tous ces murs invisibles

Et pourtant acceptés

Comme un juste retour des choses

Du progrès de la diversité

Cette vacuité qui établit

Les idées à croire

Dans la décadence programmée

De la langue de bois

De la langue de pute

De la langue cicatrice

Equarrie et honteuse

Manipulée circonscrite

Sans saveur ni contenu

Sans rien du tout

Désormais

Il n’y a plus de place au hasard

Dans ces temps incertains

Blessés d’extrême confusion

Et finalement désespérés

On mesure alors à leur juste valeur

Les pertes immenses innombrables

De l’individualité portée en étendard

Leur fadeur triste et anxiogène

Leur nullité fatale

Pourquoi

En sommes-nous arrivés là

Dans le grand retournement

Le bouleversement de l’humanité

Rendue sans grade

Dans la confusion des sentiments

Lorsqu’on nous fait prendre

Des vessies pour des lanternes

Quand la gauche revendique la droite

Quand le fascisme religieux est l’allié objectif

Du progrès de ne plus penser du tout

Aujourd’hui on est libre

Libre de se taire

De subir la loi inique

De l’absence d’avenir commun

De l’accélération de l’espace

La terre est finie dans son ultime acception

 

En repartant à la source

Dans l’affirmation de

Qui je suis

Pour reprendre l’antienne pasolinienne

Il faut reconstruire le projet gramscien

Et repartir comme après chaque génération

La nôtre aphone

La nôtre solitaire

La nôtre abattue faute de combats gagnés

C’est là une évidence

Du complot du silence

Il faut le clamer

Dans le rappel des jours

D’attente sans gloire

Pour qu’on n’oublie pas

Ce qui aurait pu être

Ce savoir élémentaire

Cette poésie nouvelle

Inexplorée je dis inexplorée

 

Je revendique la démesure

Et l’exagération

La folie du désespoir

Et la beauté du réalisme

Car on fait le constat

Que la réalité ne fait plus partie

Du domaine de la vie des arts

Et la littérature

Et le cinéma

Sont complètement vides

Vidés depuis trente ans

De l’expérience humaine

De la réalité populaire

 

Je revendique

De porter mes mots

Au-delà de la passion

 

Je revendique

De dépeindre l’autre face

De l’horizon

 

Je revendique

De boire

Les paroles que j’aime

 

Je revendique

Le plaisir

Pour arrêter le temps

 

Je revendique

Le corps de toutes les femmes

Enceintes de mon regard

 

Je revendique

La soupe

Aux fayots blancs

 

Je revendique

Le sucre et le sel

Ensemble

 

Je revendique

Mes amis

Plus que moi-même

 

Je revendique

Tous les livres tenus

Plus précieux que l’or

 

Je revendique

La poésie

Des jours sales

 

Je revendique

Mes chansons

Ephémères

 

Je revendique

Le soleil dans la nuit

Et le jour de Peter  à toutes heures

 

Je revendique

Mes carences

Leur désastreuse infortune

 

Je revendique

Mes projets immenses

Lancés à chaque coin de rue

 

Je revendique

Ma vie

Comme une offrande à mon lecteur

 

Je revendique

Ma seule liberté

Pour survivre

 

Je revendique

Ma poésie

Riez oui ma poésie

 

Je revendique

Cette épouse indifférente

Qui a honte de moi

 

Je revendique

Quand elle me dit de bon cœur

Que je ne sais rien faire

 

Car chaque jour qui passe

Sans une émotion d’écriture

Sans un opéra de tendresses

Sans un théâtre grandiloquent

Sans une partition

D’opéra frénétique

Ou sans mon film de chaque minute

De chaque instant dépassé par les événements

Ne ressemble à rien

Et me tue m’assassine sûrement

De cette ignorance

Me détruit de ne pas pouvoir accomplir

Dans l’abrutissement de chaque jour

Le dessein secret

Et étrange du héros

D’un voyage par dessus les saisons

Dans le corps profond

Qui supporte

Transporte et puis soupire

Vers une autre contrée

Pleine de sang de veines

Et de conjugaisons muettes

Je suis celui qui n’a besoin

Qu’un peu de traces

Pour laisser deviner le lendemain

Ivre toujours ivre

De prendre de déchirer

De palper le sein de ma main

Pour lever la pâte

Pour lever

Lever toujours lever

Pour ne plus être à l’étroit

Dans le corps de la société

Pour casser les connivences

Casser le sens étroit

Casser les murs et les voix

Qui marmonnent la faillite

La revanche des monstres

Des vilains et des fours crématoires

Telle est ma simple grammaire personnelle

 

Je revendique

Depuis fort longtemps

Le premier et l’unique

La phrase magique

Le moment clé d’une joie

Presque divine

La rencontre de la beauté

Le paysage universel conquis

Ce tableau magistral

Ou ces vers fragiles

Ces magnifiques vers

Qui emmènent

Détruisent et

Dans le même temps

Construisent un nouvel être

Une nouvelle ère

Par des mots jamais portés

L’histoire des histoires

Le nouvel éden terrestre

Je revendique à le croire

Et à porter le fer brûlant

Pour détruire la maladie

Les plaies les plus profondes

En rapport auxquelles le plus vil

Des martyrs n’est qu’une banale esquive

 

Laissez-moi vivre pour une fois

 

Ainsi en va le destin des civilisations

Ecrasées du poids de l’indifférence

Et de la guerre menée de tous

Contre tous les peuples

Par tous les pouvoirs

Une guerre sans nom

Justifiée par les frontières

Les religions ou les nations

D’étranges paradigmes inventés

Créés de toutes pièces par l’homme

Pour détourner son prochain de la vérité

De l’espoir commun

De cette gloire devinée

Innée qui mène au-delà de la raison

Cet écran de vie de couleurs

Ou d’hallucinations d’éternité

 

Je revendique

Le droit nécessaire

D’éclairer la nuit

Où nous nous mouvons

La nuit de la médiocrité

Où notre jeunesse se fond

Dans l’illusion de la marchandise

Des contrats immoraux

Et de l’artifice mondain

Les spasmes venus d’en bas

De la connivence suggérée en permanence

Entre ceux qui jouent de la déchéance

Et qui poursuivent leur but de domination

Et la troupe qui suit infantile

Avec ses uniformes contemporains

De chevelures colorées

Ses trous dans les pantalons identiques

Les chairs transpercées de métal

De tatouages iconoclastes et semblables

Pour toutes ces femmes factices

Aux mêmes schémas obscènes

Niant le corps et l’âme en matière plastique

Conformes à l’air du temps imbécile

Digne d’une République de Salo ubuesque

Et la bourgeoisie rit

De tant de détails secondaires

Et la bourgeoise se pâme

Devant tant de révoltes avortées

Et que tout cela coûte cher

Des journées de labeur

Sans chaleur

Sous rémunérés

Sinon par des appellations correctes

Dans leur accord second

Et que le premier n’est que la corruption

De l’aliénation imbécile

De l’exploitation facile

Pour leur force de reproduction

Et tout le monde le sait

Et tout le monde l’accepte

Et chacun se faufile

Dans la liste des récipiendaires

Pour connaitre l’instant de légende lacrymale

Et entrer dans le royaume

De la valse de l’image

Des pleurs et de l’émotion angélique

La terreur de l’infantilisation

Ce nouvel ordre fasciste contemporain

Négateur des libertés

Qui se résume d’avoir sa photo dans un journal de PQr

dans la rubrique nécrologique ou des accidents de voiture

Ou mieux avec la mention

Vu à la télévision

Je revendique alors

La formule reprise depuis en opuscule

Seule la révolution fait le beau temps

 

Je revendique

L’idée

Que jusqu’alors

Nul n’a trouvé

Le moyen féroce et neuf

Pour renverser le cours des choses

De l’ordre crapule

Nul n’a levé les troupes

Pour renverser le pouvoir

Virtuel qui abandonne la réalité

L’arme précise

L’arme pratique

Qui taillera dans le vif

Alors qu’il suffit de très peu de choses

Pour renverser

L’ordre inique

Ce monstre vil qui est en chacun de nous

 

Je revendique

L’absolu

Je revendique

L’amour

Même si cela peut faire sourire

Je revendique

Le temps clair

De la liberté de l’air

Je revendique le froid

Puissant et lourd

De cet hiver à Kazan

L’arrêt soudain du voyage à l’Est

La neige qui n’arrive pas

Au milieu de décembre

L’enfant qui crie

Qui ne veut jamais dormir

Car il ne faut pas

Il ne faut jamais oublier

Sa propre enfance et ses couleurs

L’attente de ce qu’il advint rarement

Je revendique

Mon choix viril

D’être en vie encore

Malgré les chutes

Que seul je connais

Et que vous ne lirez pas

Car il n’y aura bientôt plus de place

Dans l’enceinte du monde

 

Je revendique

Le soleil

L’eau et le pain

Le sel et la mer

 

Je revendique

Le long territoire

Des saisons de l’enfance

 

Je revendique

Le silence absolu

Les particules de chaque seconde

Mais aujourd’hui tous les symboles

Sont prisonnier de la glace

Pour plusieurs générations

Etanches à la Vie Nouvelle

 

Je revendique un banquet généreux

Car les jours sont trop monotones

Et que chaque jour qui passe

Sans être une fête immense

Est un jour de perdu

Un véritable Enfer

 

Je revendique

La lutte contre la fatalité

La négation de la mort

La fin des monstres religieux

Et même si mon catalogue

Est plutôt long

Je le porte en bandoulière

Sur tous les fronts

Comme j’ai porté durant dix ans mon Stylo

Au musée soviétique de Mockba

Place Loubianka dédié à

Vladimir Vladimirovitch

 

Je revendique

Sans cesse et à corps

Et à cris

L’instant propice

Où tout peut se passer

Où tout peut arriver

La première rencontre

Le premier amour

La fièvre des autres jours

Quand nous pourrons enfin

Etre définitivement heureux

Alors que rien n’est écrit rien n’est dressé

Dans la liste la longue liste

De ce que nous voudrions

Faire comme si demain peut exister

Dans nos pensées

Refaire le tour de rêve

Et revivre l’instantané

Oubliant les chagrins et les peines

Les désastres qui ont ruiné

Notre souffle et brûlé

Nos dernières larmes

 

Je revendique

L’effigie nue

De lendemains plus clairs

De moments plus propices

Dans l’amitié de mes frères d’arme

C’est à ce moment précis

Que les vraies paroles

Transcendent les distances

Entre les hommes

Pour nous réunir

Vraiment

 

Je revendique

Les temps anciens oubliés

Les temps effacés de leur mémoire

Ce temps dont il ne reste rien

Que l’impression des vivants

Les paroles des derniers témoins

Dans leur vibrante mémoire

Mais le passé est définitivement mort

Vibrant entre les ruines d’aujourd’hui

De ce qui fut

De ce qui n’est plus

Mis à part l’instant éphémère

 

Je revendique

Aussi tous les excès

Les cris les fureurs

Les drames et les romans inachevés

Nos nuits d’alcool et nos cigarettes gaspillées

Car il fallait dire

Il nous fallait avouer

Tout ce que nous avions à dire

Car personne ne nous a cru

Ni jamais écouté avant

 

Je revendique

L’anarchie

Des jours désordonnés

Des jours sans gloire

Des jours sans peine

Des jours sans conflits

Ni mauvaise nouvelle

Des jours simples

Qu’il faudrait marquer d’une pierre blanche

 

Je revendique

Le silence me réveille

Loin de la vie facile

Des voyages au lointain

Je revendique

Ma vérité plus vraie que nature

La sobriété avant de se découvrir

Dans une seconde nudité

Je revendique le calme la beauté

Le certain

Je revendique

L’oubli le pardon atroce

Et désormais je tourne

Sept fois la langue

Dedans ma bouche

Je revendique

Les escales le très grand froid

Par moins trente degrés

Pour figer enfin le monde

Mais

Je revendique

Toujours la vie obsédante

La vie qui tourne sans halte

Qui ne peut s’arrêter

Le temps de construire

Le connu et l’inconnu

Je revendique

Le sang

Qui me paralysait

Me vrillait

Le sang bouillant

Plus que la justice

Pour une fois sur terre

Je revendique

Le carnaval des pleutres

Je revendique

Tous les hémisphères

La noblesse de l’art

Notre seule richesse

Car il ne restera rien

Des petites bassesses

Des crétines mesquineries

Rien qu’un souvenir

Pour une ou deux générations

Et puis rien

Que des photos jaunies

Qui se déliteront

Dans le désastre du papier

 

Je revendique

Le droit d’être au monde

Dans son acception hasardeuse

Je revendique

Le merveilleux pouvoir des mains

Je revendique

La connaissance

Le contenu rigide du difficile

L’apprentissage de toute une vie

Par delà les latitudes du rêve

Je revendique

L’immense bonheur d’être né

De ce côté de la terre

Dans le livre mécanique

Des rues de Paris qui défilent

Qui s’ouvrent magiques

Sur des ponts immémoriaux

Fantômes du petit matin

 

Je revendique

Que le silence me réveille

Que ma faim entraine le sommeil

Que mon amour tend

Vers une échelle tellurique

Et que les enfants nés

Ou à naître

Porteront mon idéal

Comme un emblème un féal

Au-delà de tous les siècles

 

Je revendique

Le droit de dire et d’écrire

Même si cela compte pour si peu

Mon refuge

Mon château-fort

Mon île naissante

Ma partition de l’impossible

 

Je revendique

Un poème

Sans fin

 

Je revendique

Toujours et bien que je sois loin

De mes amis mes parents

De mes alliés sur cette terre

Je revendique

Le droit de contester

L’ordre inégal du monde

La terreur faite à tous les faibles

Le malheur fait aux pauvres

L’arrogance des puissants

Le pouvoir fou de l’argent

La supercherie des religions

La folie de la misère

Le crime des banques

Le désastre planétaire

La misère culturelle

Le massacre des innocents

Le scandale de la mort

Je revendique

La mise hors la loi

De la bourgeoisie décadente

L’abolition des drogues médiatiques

Le rétablissement de l’appareil

Du bon docteur Guillotin

Pour les faire revenir à la réalité sur terre

Pour les voir cracher au bassinet

Je revendique

Le temps revenu de la guerre populaire

Des croisades contre la faim

L’Europe peut devenir le chant

De la liberté sur terre

Et la France de nouveau

La nation de toutes les révolutions

Je revendique

Le droit de la reconquête

Le temps de la mobilisation

 

Je revendique

Le rêve

La liberté

La conscription générale

La poésie au service de l’universel

L’avenir déclaré ouvert

A tous les amants sans lendemain

 

Je revendique

Un poème sans fin

Qui ne peut avoir jamais de fin

Un poème sans gloire

Un poème d’airain

Un poème finalement très humain

Malgré le complot du silence

 

Demain

Je revendique

La seule révolution

Qui reste à inventer

Celle d’un poème

Qui ne peut avoir

De fin

 

Un long

Poème

Sans fin

 

 

à Kazan, Russie,

les 25 / 30 décembre 2008

le 5 janvier 2009

 

 

Ce texte constitue la deuxième partie du livre La première couleur quand on vient au monde est le rouge, publié par les éditions Le bruit des autres, en mars 2011. Disponible chez l’éditeur : "le bruit des autres" <lebruitdesautres@orange.fr>, et dans toutes les bonnes librairies…

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20 mai 2010 4 20 /05 /mai /2010 23:02

Ouvriers & ouvrières, coll. Alix, 2006, 32 p., 3 €

haïkus en forme rebelle

 

 

Ouvriers et ouvrières d’hier

opérateurs, opératrices d’aujourd’hui

en mal de vivre

secouez donc vos mains

pour voir un peu ce que ça fait

de ressentir une émotion

mais

l’eau est glacée en plein février

et vos doigts encore gourmands de l’enfance

se brisent net

étoiles gelées au parvis de la vie

mais le patron désemparé

ira chercher ailleurs

des travailleurs aux mains d’airain

des mains géantes sur des corps nains

loin,loin, très loin de vous…

ingrats !!!

 

Francis Vladimir,

2 mars 2005.

 

 

 

Ouvriers et ouvrières

 

Il ne manquait plus que cette appellation, « Ouvriers et ouvrières », afin de remplir la page blanche de ces temps de confusion, à la fois joyeux et honteux – presque. A chaque nouveau livre, Jean-Michel Platier en dit un peu davantage. Ici, il ressuscite nos parents, nos grands-parents, avec une économie de mots et de moyens. Il déclare innocemment la guerre, sous forme de haïku, aux gens trop honnêtes et à la meute des crétins amnésiques. Où sont, désormais, les ouvriers et les ouvrières ? Perdus ? Retrouvés ? Ici ou là ? Là, bien sûr. Debout. Et les mots sèchent, eux aussi, sur le fil tendu après l’orage. L’Histoire n’est pas encore finie :

 

Sur la chaîne

les seins sous ta blouse

nous bousculent.

 

Thierry Renard,

20 mars 2006.

 

 

 

Le hasard n’existe pas en poésie

 

 

Ce petit livre de haïkus, présentés dans la collection Alix, qui sortit en compagnie d’autres textes – poèmes, essais – m’est venu à l’idée lorsqu’un jour, en regardant le journal télévisé de 13 heures sur France 2 – certainement parce que je devais être malade et que j’avais du temps à tuer – un reportage fut lancé sur l’usine automobile de Rennes (Peugeot – Citroën, de mémoire), et je vis à l’écran une superbe chaîne de montage, rutilante de propreté, avec des ouvriers hommes et femmes superbement habillés. Et là est tombé le commentaire du journaliste présentant ces hommes et ces femmes comme des « opérateurs et opératrices ».

 

J’eus du mal à fermer ma bouche, grande ouverte d’étonnement, n’en revenant pas encore d’avoir été le témoin du mensonge des mots mêlé à un langage politiquement correct des plus hypocrites. Puis j’ai éclaté de rire ! Ainsi, à l’aube des années 2000, les êtres humains qui travaillent sur des chaînes, dans les mêmes conditions que Charlie Chaplin en plein taylorisme et fordisme, se sont vus requalifiés par la langue, par les mots.

Ceci m’a confirmé que celui qui maîtrise le langage manie le pouvoir, que le pouvoir politique ou économique qui utilise comme bon l’entend les mots manipule les hommes, et que ces derniers sont toujours les victimes - le plus souvent consentantes - mais demeurent l’objet de pouvoirs parce qu’ils ne peuvent contrôler le langage, la langue, les mots usités qui déterminent leur situation économique et sociale.

La télévision effectuait donc un reportage informatif dont l’objectif premier visait à convaincre les spectateurs passifs que, premièrement, les ouvriers qui travaillent dans la banlieue rennaise sont des privilégiés, parce qu’ils ont du travail, qu’ils travaillent sur une chaîne moderne et propre, et enfin qu’ils ne sont plus dénommés comme pouvaient l’être leurs parents ou grands-parents de la terminologie supposée indigne « d’ouvrier ». Car aujourd’hui il n’existe plus d’ouvrier ; aucun ouvrier ne travaille sur les chaînes automobiles de la région rennaise ; seul le terme générique, spécifique, supposant compétence et savoir-faire d’opérateur et d’opératrice, qualifie désormais des équipes de spécialistes censés opérer directement sur les véhicules que des clients avisés pourront ou devront se payer pour se déplacer…

 

Quand on fait mentir les mots, pour modifier l’imaginaire collectif et celui des principaux intéressés, c’est qu’une société ou un pays n’est plus dans la réalité concrète mais dans un univers fascisant où les mots n’ont plus leur sens premier, où la honte supposée de telle catégorie sociale est ostracisée et qu’on rêve de la voir disparaître (parce qu’elle est a priori trop combative, organisée ?). La télévision une fois de plus s’est présentée comme le moyen de pilonnage des esprits, un instrument du bourrage de crânes.

 

Je me suis alors souvenu que mes grands-parents, que mes parents avaient été ouvriers, dans une époque où ce terme avait du sens, une dignité, un honneur. Quand les classes populaires existaient tant dans la réalité que dans la littérature ou le cinéma français.

 

En la supprimant aujourd’hui d’office, on nie la classe ouvrière dans sa représentation culturelle, et je n’évoque pas ici le politique !

 

La poésie se doit, selon moi, être l’outil afin de restituer la parole ouvrière, en soulignant des moments de la vie de ces ouvriers et de ces ouvrières. Car seule la poésie peut lutter sur le terrien inégal par définition entre les tenants de tous les pouvoirs alliés à tous les dénégateurs qui en niant cette réalité l’écrasent…

 

Les dictateurs ont toujours eu peur des poètes ; à mon très humble niveau, je souhaitais par ce livret que ces quelques textes puissent réveiller et relever les consciences pour leur rendre vie, pour rendre à leurs destinataires leur vocabulaire et les mots du sens commun qui est aussi celui de la vérité. Abuser les gens par les mots relève du contrôle des consciences et du langage, dernier degré de la dictature qui efface ainsi ce qui peut être susceptible de résister.

 

En niant la possible transmission de génération en génération des termes par l’utilisation de mots dévoyés de leur sens premier, est déniée la raison d’être de ceux qui sont à la base d’un système toujours plus inégalitaire, qui le font fonctionner et que l’on trompe en leur disant ce qu’ils ne sont plus, en leur faisant croire des mythes sur leur propre destinée.

Dans ce miroir aux alouettes, la poésie a pour objectif de rétablir le sens, la norme, la vérité. C’est la seule justice que je dois au monde ouvrier.

 

 

Jean-M. Platier

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8 mai 2010 6 08 /05 /mai /2010 14:44

L’acier naît de la forge

 

 

La poésie est la forme imaginaire de la réalité.

 

César Pavese

 

 

 

à Claude Gobet & Jef Froment

 

 

 

Il y a sept ans, le collectif des éditions Bérénice lançait un livre collectif intitulé Culture pour tous, dans la collection Cétacé qui se propose d’être un outil d’invention de la démocratie et de la liberté en direction de tous les citoyens. Ce livre regroupait seize interventions sur l’art et la culture ; on avait à cœur de poser la culture au cœur même du combat politique et culturel, comme postulat gramscien, après le désastre de l’élection présidentielle de 1995, la faillite des valeurs républicaines, dans un contexte de montée de l’extrême droite qui connut finalement son paroxysme en avril 2002. Ainsi, ce que nous redoutions, ce que les politiques n’ont voulu voir ou n’ont pas eu le courage de mettre en œuvre, a marqué au fer ces dernières années de confusion avec l’explosion des lignes et la fin du politique. Si les combats culturels menés n’ont pas eu les résultats escomptés, elle est devenue pour moi l’indispensable tuteur de ma vie.

 

Bien que, à l’origine, la culture, c’est ce que je n’aimais pas. Oui, à la réflexion, c’est ce que j’ai rejeté dans un premier temps, lors du tout premier contact. J’y reviendrai, jusqu’au retournement, ce qui a entraîné ensuite l’adhésion, l’extrême surprise de la découverte qui a tout remis en question, mon passé, la vie, l’histoire du monde, ma vie…

 

Un exemple, parmi d’autres ; le film de Claude Sautet Vincent, François, Paul et les autres avec Yves Montant, Michel Piccoli, Gérard Depardieu et Serge Reggiani… Je voyais au sortir de l’enfance des extraits de ce film à la télévision, lors de l’émission La séquence du spectateur, et je trouvais ce cinéma inintéressant au possible. Je ne savais pas alors ce qu’était le 7ème art. Je ne l’ai su que plus tard, par hasard, sur les bancs de l’Université à Sciences Po Lyon ; je suivais alors un cours, un séminaire selon la terminologie alors usitée, sur le cinéma que donnait un professeur qui enseignait aussi à l’école de cinéma de Genève ; il était aussi critique au magazine Révolution. Nous étudiâmes au cours de l’année Spionen de Fritz Lang et Ossessione de Luchino Visconti. En présentant le contexte socio-historique, en remettant le film et ses auteurs dans le contexte politique de leur époque, le professeur nous parlait de l’œuvre en train de se faire, des comédiens et du réalisateur qui construisaient une œuvre d’art qui parlait aux spectateurs. Ce fut pour moi une vraie découverte. Ainsi un être humain contribuait à mettre en place dans la tête de ses étudiants les pièces d’un puzzle, les données que nous détenions éparpillées et les agençait pour leur donner tout leur sens.

 

La culture c’est cela : à partir d’informations, de connaissances, de données a priori élémentaires, factuelles, se met en place un raisonnement, une approche globalisante de connaissances et d’expériences qui traduisent chez l’individu, ou une classe sociale, un ressenti puis un émerveillement, un nouveau souffle qui peut parfois sous la violence de l’effet entraîner une véritable renaissance.

 

Car la culture permet aux hommes de renaître d’un état premier pour les faire accéder à un stade supérieur ; ce processus peut être comparé à la prise de conscience politique quand, d’un coup, après un temps d’incubation, l’être pensant se transforme pour accéder à un nouveau seuil d’humanité ; à un être réfléchissant qui précède parfois l’acte, le passage à l’action, manifestation de la vie ou comment agir positivement sur la cité à partir d’une réflexion subjective, c’est-à-dire comment atteindre l’unité à partir de la manifestation collective de la volonté personnelle pour changer le cours injuste des choses.

 

Cet état culturel, tout être le possède à partir du moment où il est lié à un milieu géographique, historique, familial et politique. Cet état se développe et se renforce si l’individu touché par cette forme de grâce rejoint la communauté des hommes s’il met en œuvre une pratique culturelle qui se définit généralement par la recherche de la beauté dans le domaine des arts.

 

Etre acteur dans le domaine culturel ou soutenir la culture en défendant un mouvement culturel ou un artiste, élève l’individu à un degré supérieur de son humanité, ne le laisse pas passif devant la vie en général, le transforme en le faisant acteur de sa propre vie.

 

Celui qui en effet s’intéressera à la poésie pourra faire le lien avec la littérature, mais aussi l’histoire, la philosophie voire les sciences dures. J’ai écris pour Chantal Portillo et ses rendez-vous littéraires de la Mairie du XXème arrondissement de Paris le texte suivant :

 

Ecrire, c’est travailler. Non pas un travail pour survivre, mais pour vivre tout simplement. C’est un besoin, une nécessité. Écrire revient à se déchirer le corps, le cœur et l’âme. C’est inventer pour mieux se réinventer, c’est respirer et jouir, c’est rire à en pleurer. Ecrire c’est construire un édifice jamais terminé, c’est inventer sa vie, mêler le vrai au faux d’où sortira une possible vérité.

Ecrire est mon oxygène. Mes poèmes sont mon sang. Mon sens. Je suis écrivain parce que je suis communiste. Libre et rebelle. Sincère et crédule. Toujours en marge et en quête du beau. Ecrire, c’est tenter de changer mon lecteur et le monde.

 

Cette démarche peut sembler utopique, un rien coupée de la réalité du monde et notamment des contraintes économiques…

Mais récemment, j’ai revu ou plutôt vu vraiment le film de Sautet que j’évoquais ; ce fut un moment exceptionnel, d’une intensité qui m’a fait monter les larmes aux yeux. Non seulement j’eus conscience que Sautet était un véritable génie mais que son film a priori inodore et incolore, selon mes souvenirs adolescents, faisait un portrait exceptionnel de la France des années 1970, sur le point économique, politique, sur le changement de société en train de s’opérer, sur les mœurs aussi…

 

Rares furent les moments de ma vie où une lecture intense m’a autant bouleversé, mis à part la lecture des romans d’Aragon dont La Semaine sainte, les œuvres poétiques, cinématographique de Pasolini, en particulier ses essais Les écrits corsaires, d’une étonnante modernité, les œuvres poétiques de Richard Brautigan et de Raymond Carver, les romans de Beppe Fenoglio…

Ainsi depuis une vingtaine d’années, ma quête culturelle consiste à chercher et à renouveler de telles expériences, de découverte d’œuvres d’art (littéraires ou cinématographiques – pour ce qui concerne mes préférences à moi), d’effectuer de véritables recherches scientifiques, en lisant, en apprenant, par une démarche de connaissance, ce qui a pu motiver la construction d’une œuvre, nourrissant par ricochet la mienne en train de se réaliser.

 

C’est pourquoi si je suis né dans un milieu familial où il n’existait qu’un rayon de polar de la Série Noire, et si ma grand-mère paternelle a lu toute sa vie le même roman, le Robin des Bois de Walter Scott, aucun livre, aucune BD ne m’a jamais été refusé… A sept ans je lisais Les pieds nickelés, à onze les versions intégrales de L’Iliade et L’Odyssée, à l’adolescence j’ai lu cinquante romans de  Jules Vernes. J’ai été libre de lire ce que je voulais.

Ces lectures m’ont construit et m’ont aidé à grandir,  notamment en écrivant. Elles m’ont nourri et permis de survivre. Elles m’ont rendu plus fort que je ne l’étais à l’origine. Aujourd’hui, en ayant la prétention d’être auteur, poète, même si les miens ne me lisent pas et que mes amis sont fort réticents à la critique de mes nombreux textes, je sais que je suis sur la bonne voie.

 

La culture est une aventure très personnelle, la nier ou la rejeter c’est se nier et se rejeter soi-même, c’est rester dans les limbes immatures de l’enfance ou d’une adolescence destructrice qui peut briser des vies. C’est par conséquent un acte de choix positif responsable.

La culture est un phénomène intime et personnel qui par définition ne peut jamais s’arrêter, et pour un artiste, un auteur, c’est ce qui permet de dépasser les limites de la vie quotidienne, de s’envoler vers un autre espace entre le conscient et l’inconscient qui commande les yeux, la main qui pensent et qui écrivent, parfois malgré soi, permettant ainsi de se découvrir, de se redécouvrir…

Mais la culture peut être suscitée et soutenue ou devrait l’être par la collectivité. Elle s’acquiert, elle devrait trouver ses racines, à l’école puis à l’université pour donner les bases indispensables de la connaissance et de la libre pensée à la majorité de chaque génération. La culture est un enjeu politique et symbolique extrêmement puissant.

En priver le plus grand nombre, c’est briser les béquilles d’un cul-de-jatte ! C’est maintenir dans l’aveuglement narcissique des générations d’enfants et d’adolescents réduits à l’état de consommateurs dégénérés… C’est surtout nier la liberté et l’ensemble des potentiels qui peuvent en découler, sur les plans artistiques bien sûr, mais aussi sur les plans sociaux et économiques pour les destinées d’une nation toute entière…

Si pour les fascismes et les religions prime surtout le culte de la mort, la culture forme le terreau de la liberté, de la beauté et de la vie. C’est là son horizon indépassable ; c’est aussi l’inaccessible étoile pour les artistes.

 

Si j’ai pu faire l’effort de lire, de chercher durant près de 25 ans avant de tenter d’écrire pendant 20 autres années durant, je l’ai fait de mon plein gré, en ne refusant jamais les difficultés, en ayant soif de découvrir sans cesse, en dépassant mes limites personnelles hélas fort nombreuses, pour accéder à cet état indicible de liberté, de concentration de conscience pour me séparer il est vrai des hommes d’une certaine manière mais pour me rapprocher dans le même temps de l’humanité toute entière. C’est la grandeur de cette démarche et à la fois sa faiblesse pour réinventer ma propre vie.

Et pour ceux qui n’auraient pas compris que l’apprentissage de la culture est un travail, un véritable labeur, ils n’auront rien compris à la dimension humaine et humble de ce choix insensé.

Au début, la culture c’est vers quoi l’on se détourne, naturellement, tout simplement ; car la difficulté est le plus souvent réfutée par les hommes. Et pour entrer dans une œuvre, cela demande des efforts, de l’assiduité, une soif de vouloir… En passant et dépassant cette étape, je me suis personnellement donné les moyens de mieux connaître le monde et de mieux me connaître, mes forces et mes faiblesses aussi.

Ainsi, au moment de quitter cette terre, je pourrai m’avouer que j’aurais vécu la vie que je m’étais d’une certaine manière choisie, en toute liberté !

 

 

Jean-M. Platier

 

 

Annexe poétique

 

 

Contre société

 

 

 

Leurs doigts tressent aujourd’hui des fils invisibles

Leurs mines noyées d’amertume

Les usines transformées en musées anthropologiques

Alors que devant les grilles

Les hommes attendent la cigarette aux lèvres

Le regard vide leur chèque sitôt reçu sitôt bu

S’ils sont moins fatigués par les heures ou les pièces fabriquées

Dans le souvenir du rêve industriel

Ils sont usés et ne savent épeler les heures ni les jours

Ralentis par leur poids mort minés laminés

Par le sort ou par la bourgeoisie

A quel sort se joue le sens de leur vie

 

Ton siècle brandi

De ton sel et de ton sang

Monté à cru

Pirate des certitudes

Fracassé foudroyé

Et perdu dans cette soudaine solitude

 

Générations empilées

Avec pour ciment l’espoir politique

Vos enfants aujourd’hui ne s’appartiennent plus

Générations sans mémoire

Génération dispersée absente

Entrée dans le mouvement sans retour

 

Langue dispersée et trahie

Ce pays qui est le mien a perdu

Ses us et coutumes et sa culture

Qui avaient le mérite d’exister

Mais le peuple a perdu sa langue

Devenue idiome sabir infirme

Langue niée projetée vers le néant

Une génération de compromis

Qui ont finalement laissé un champ de ruines

 

Ma langue est mon drapeau

Et je lègue à mes filles nées ou à naître

De mère française et étrangère

La grammaire de mes origines

Ma mère née sur cette terre jurassienne

De parents immigrés

Entre l’objet politique

Et la facilité économique

Je ne renie rien

Ma langue est mon sang

Terni par la mode angliciste

La langue des commerçants et des « in »

Ma langue est celle des pays d’oc et d’oïl

Les langues celtes et latines transformées

En langue de la République

Ne vous en déplaise

Et les mots n’y pourront rien changer

Puisqu’ils sont gravés dans les pierres

Et que ma langue est celle de la poésie

Tenez-vous le pour dit

 

 

in Pour tous ! Démocratiser l’accès à la culture 1789 2009, éd. la passe du vent, Collection Haute mémoire, 2009.

 

 

 

Dans la filiation de la Révolution, la Constitution de la République française proclame depuis 1946 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». De Condorcet à André Malraux en passant par Victor Hugo, Jean Jaurès, Joanny Berlioz ou Jean Vilar, ils ont été nombreux à nourrir par leurs discours inspirés la belle utopie qu’en 1960, Gaëtan Picon, directeur général des arts et lettres, exprimait en ces termes : « Qu’est-ce qu’une beauté qui n’existe pas pour tous ? Qu’est-ce qu’une vérité qui n’existe pas pour tous ? Que la culture n’existe que pour quelques-uns, c’est un scandale qui doit cesser et que la démocratie s’emploie à faire cesser depuis qu’elle existe ».

 

Joanny Berlioz, François-Antoine Boissy-D’Anglas, Lionel Bourg, Condorcet, Jacques Duhamel, Fantazio, Hassan Guaid, Victor Hugo, Jean Jaurès, Jack Lang, Yvon Le Men, André Malraux, Samira Negrouche, Gérard Noiret, Emmanuelle Pireyre, Jean-Michel Platier, Didier Pobel, Jean-Jacques Queyranne, Jacques Rigaud, Romain Rolland, Valère Staraselski, Jean Vilar, Annie Zadek.

 

Comme dans les précédents ouvrages de la collection Haute Mémoire, des contributions d’auteurs contemporains se mêlent aux grands textes historiques, faisant ainsi dialoguer discours d’hier et discours d’aujourd’hui.

 

ISBN 978-2-84562-159-6

176 pages

10 euros

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20 avril 2010 2 20 /04 /avril /2010 17:50

 

ma fille est bientôt

Vient de paraître aux éd. Arcadia (mars 2009) :

 

Ma fille est bientôt plus vieille que moi

 

  Bien sûr, Jean-M. Platier ne maîtrise pas le calcul des millésimes généalogiques, faisant de son titre génial un pittoresque moment d’humour décalé. Mais une chose est sûre, il connaît parfaitement la littérature et il nous le prouve encore.

  Dégustés un à un, les textes qui composent cet ouvrage sont autant de petites expériences acides qui picotent un peu et font légèrement grimacer. Ensemble ils ont une saveur bien plus intense et laissent dans la bouche un goût d’une délicieuse amertume. Ils laissent deviner et rendent désirables sans toutefois vraiment montrer.

  Tous ces petits croche-pieds de l’existence, tous ces combats perdus ou même pas menés, tous ces petits moments de faiblesses, mais aussi et surtout, toutes ces fulgurances nous désignent un seul but : donner du sens à l’existence.

  Ce un texte est une confidence magnifique qui révèle le crapaud du diamant, ce qui lui donne la vraie valeur, ce qui le rend vraiment précieux.

 

L’auteur : Jean M. PLATIER :

 

Né en 1964 à Saint-Claude dans le Jura, 18 ans d’enfance

et d’adolescence passées à Oyonnax, études à Lyon

et arrivée à Paris en 1986.

 

 

 

 

 

« Un roman en 64 chapitres qui ne ressemble à aucun autre ; car c’est le roman de la génération des hommes d’aujourd’hui, de leurs désirs, de leurs faiblesses mais de leur force aussi…

Seul Richard Brautigan avait osé, mais il y a plus de trente ans, et aux Etats-Unis !

Et c’est ainsi que l’on redécouvre que l’impossible n’est pas français. »

Jim Latieri

 

 

Comptoir de diffusion et de distribution :

 

Arcadia

9/11 rue du Champ de l'Alouette 75013 Paris

tél : 01 40 09 79 79

fax : 01 40 09 79 00

 

 

EXTRAITS !

 

Préface

 

Le crapaud

 

     En préambule, et pour qui ne connaît pas Jean-M. Platier (et pour sa mère aussi), il est important de préciser que ces 64 chapitres ont certainement tous été écrits sous l’effet d’une substance quelconque et particulièrement corrosive.

     Bien sûr, Jean-M. Platier ne maîtrise pas le calcul des millésimes généalogiques, faisant de son titre génial un pittoresque moment d’humour décalé. Mais une chose est sûre, il connaît parfaitement la littérature et il nous le prouve encore, le bougre.

     Dégustés un à un, les textes qui composent cet ouvrage sont autant de petites expériences acides qui picotent un peu et font légèrement grimacer. Ensemble ils ont une saveur bien plus intense et laissent dans la bouche un goût d’une délicieuse amertume.

     Souvent tendres (mais avec la tendresse des guerriers), parfois secs (mais avec la sécheresse des affectifs), souvent drôles (mais avec la drôlerie des désespérés), ils sont autant de contre-jours romains du personnage. Ils laissent deviner et rendent désirables sans toutefois vraiment montrer.

     Tous ces petits croche-pieds de l’existence, tous ces combats perdus ou même pas menés, tous ces petits moments de faiblesses, mais aussi et surtout, toutes ces fulgurances nous désignent un seul but : donner du sens à l’existence.

     Mais finalement qui est vraiment Jean-M. Platier (et que signifie le M. ?) ?

     Oui, il a bien trois filles (splendides), oui il est Capricorne, oui il est jurassien, oui il adore pêcher, mais il est aussi tout le reste et rien de cela.

     Ma Fille est bientôt plus vieille que moi est une confidence magnifique. C’est un texte qui révèle le crapaud du diamant, ce qui lui donne la vraie valeur, ce qui le rend vraiment précieux.

     Ce texte m’a donné l’envie de connaître l’auteur lui-même, en vrai, comme disent les enfants, enfin presque…

 

G. Mazuir (mais que signifie le G?)

 

Chapitre dix

Histoire de la pêche aux ablettes aux Zamériques

 

L’été était la saison de la pêche aux ablettes ; il faisait chaud, et dans l’Ain, à la limite du Jura, l’été ne faisait pas semblant, il faisait souvent très chaud. Le restant de l’année, il pleuvait, il neigeait, il faisait froid. Dans cette région, il existait deux saisons : l’hiver et le mois de juillet.

Plutôt que de courir après des filles imprévisibles et incompréhensibles, qui jouaient au jeu de la séduction avec mes amis lycéens, j’allais pêcher les ablettes qui mouchetaient en surface, à quelques encablures du bord du lac de Samognat, à un quart d’heure en mobylette.

Il fallait pénétrer dans l’eau du lac jusqu’aux cuisses et patiemment jeter sa ligne avec très peu de fond, pour attraper les ablettes de surface. Une vraie aventure: entre les touches manquées et un résultat pas très probant pour un spécialiste de la pêche aux ablettes, le froid gagnait les pieds puis le corps entier au bout de deux ou trois heures. Certaines se laissaient prendre, les plus petites. Parfois, une grosse brillait au soleil et se faisait ferrer. C’est dans ces moments-là que je me disais que la patience en valait vraiment la peine.

Un jour, alors que la chaleur était lourde, que l’eau brouillée cachait la plume et l’hameçon aux ablettes méfiantes et douces, que la pêche aux ablettes argentées était bonne, un sillon se dessina dans l’eau et se dirigea directement sur moi ; un serpentin de surface, rapide, assez beau dans son aspect géométrique, avec comme périscope une petite tête triangulaire qui visait son objectif, telle une torpille qui se dirige inexorablement vers son but.

J’attendis le dernier instant pour rejoindre le rivage et fuir une vipère de vingt centimètres, qui oubliait de chasser les ablettes pour attaquer un plus gros poisson.

Je ne parlerais le lendemain au lycée ni des ablettes, ni du serpent, vu que ni l’un ni l’autre n’intéressaient les grâces lycéennes.

 

Chapitre vingt-et-un

Plantation

 

Pour devenir un homme, il suffit de peu de choses. Quelques années plutôt longues de maturation, d’intense réflexion, du hasard et un peu de courage. La recette pourrait paraître simple, voire trop. Mais n’est pas Che Guevara qui veut en un claquement de doigt. Ce sont les mères qui font les hommes, et je n’évoque pas ici la génétique ; trop compliquée ! Mais ce sont bel et bien elles qui façonnent dans leur tête, puis dans leur corps, les mâles devenus hommes. Aucune comparaison avec les filles, elles sont au-delà de ce qui nous compose. Les hommes sont frêles, fragiles, tristes adolescents stupides, piètres jeunes hommes impudents aux poings serrés en permanence.

Pour devenir un homme, il faut avoir fait un enfant, au moins, et écrit un livre. Mais surtout avoir planté un arbre. J’ai fait trois enfants, écrit trois livres, le parallélisme des formes est d’une étonnante clarté. Il va falloir planter des arbres, un olivier pour l’aîné, un cerisier pour la seconde. L’olivier est solide, bien en terre, résiste au soleil et au vent. Le cerisier est la fleur du printemps, le fruit qui rend saouls les merles, le symbole d’une chanson très émouvante pour les cœurs rougis par la mer de l’espérance. Je n’ai pas choisi l’essence pour la cadette durant vingt-et-un mois. Aujourd’hui, c’est décidé, je planterai trois bouleaux, car chez sa mère, plantés par trois, ces arbres portent chance et sont le symbole de la mère patrie.

Il faudra creuser à la bonne saison, au printemps ou au sortir de l’automne, manier la pelle et la pioche, former un trou assez profond mais pas trop, mettre des galets ou des cailloux blancs pour assurer la base, déposer l’arbre naissant, et reboucher en arrosant. Un vrai travail, un peu de temps. Moins qu’il n’en faut pour écrire un livre, ou pour faire un enfant…

Pour devenir un homme, il faut avoir fait un enfant, écrit un livre et planté un arbre. En multipliant les tentatives, j’espère ne rien laisser au hasard. J’ai choisi les arbres, le lieu, mais ma main tremble entre les saisons. J’ai laissé passer printemps et automne, l’hiver s’est prononcé avec ses consonnes noires et froides.

C’est dit, au printemps prochain, je deviens cet homme inespéré. Il faudra que cela se sache, tout simplement.

 

 

Chapitre vingt-trois

Papa par la Poste

 

Souvent le soir, couché sur mon bureau, à deux pattes du clavier qui geint sous les touches, le chat rit en me voyant écrire. Il paraît surpris, oui étonné, et le matin aussi il me questionne comme pour savoir ce que je fais, ce que j’essaye vraiment de lui dire.

Les chats sont comme des enfants ; ils sont présents, interrogent de leur regard, parce qu’ils comprennent trop bien nos insuffisances notoires et, de ce côté précisément, plus rien ne paraît les surprendre. Les enfants savent tout immédiatement, la vie ne sert qu’à enfouir cette connaissance innée, animiste ou chamanique. En grandissant, ils désapprennent ce que la nature leur a inculqué.

En regardant mes enfants, je les vois grandir dans mon miroir qui prend des rides et des cheveux blancs à n’en plus compter. En essayant de leur dire qui je suis, ce que je fus et tente de devenir, les mots dérapent dans le fond de la gorge, se cassent contre les dents et terminent dans des tonneaux de gargouillis. Ce que les gosses prennent pour de la bougonnerie sont pourtant des cours essentiels sur la philosophie de la vie, sur l’art et la politique ; mais toutes ces histoires ne les intéressent pas. C’est normal.

En croisant les enfants qui bientôt n’en seront plus, ils auront du mal, je crois, à considérer ce grand enfant qui fut leur géniteur. Leurs mots peut-être finiront par sortir car je ne crois plus au déterminisme et à la fatalité, trop d’exemples m’ont démontré les revirements du hasard.

Mais pour l’instant, je n’existe que grâce au courrier, comme lorsque j’avais vingt ans et renaissais en attendant le facteur afin de recevoir des traces, des particules d’encouragement. Désormais j’envoie aux anniversaires, aux fêtes, à Noël et au jour de l’An, des lettres, des paquets, des cadeaux et des livres aux enfants qui sont partis loin de leur père, qui se ratatine peu à peu, qui perd ses dents.

Je suis le père éphémère à défaut du dieu présent. Je suis le papa absent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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