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24 mai 2010 1 24 /05 /mai /2010 14:11
La parade du paon

 

 

à Pascale Lugrin

 

 

            Je me souviens de mon enfance comme si c’était hier… Comme un témoin ou un cameramen qui aurait fixé pour une trentaine d’années des images en couleur… le noir et blanc avait disparu trois ou quatre années auparavant.

La scène se passe… Pas de lieu, ni de date, je n’ai pas envie de saisir mes personnages qui restent pour la plupart vivant, encore aujourd’hui. Je ne veux pas leur faire du mal, ni les blesser. Mais ils doivent avoir tout oublié.

Je me souviens de mes habits pauvres. Des chaussures trouées, à la fois souliers et basket ; j’en usais autant que le bon dieu peut en bénir. Des trous béants mouillaient les chaussettes à chaque averse. Les pulls avaient aussi cet air vieillot de ceux qui ne manquent de rien dans la vie de tous les jours, mais…

Mais, je ne veux pas parler de moi ; je ne compte pas… Je voulais saisir des instants de cette journée de liberté ; de folie, quand tout aurait pu être possible alors que je n’ai fait que me maintenir dans le rôle d’observateur de la vie, dans cette société d’adolescents d’une journée d’été indien, sans autre souci que de s’amuser, danser, et s’essayer au métier de plaire à l’autre sexe.

Les garçons étaient beaux et brillants, les filles déjà rebelles et plus dégourdies.

L’herbe jaunie était couchée dans les prés et monter les collines coupait le souffle même des sportifs… Des oiseaux ont soudain traversé la vallée, un couple, et leur vol en préparation du grand départ était beau. Elles ne m’ont pas demandé ce que je regardais.

Nous sommes montés à dix-huit dans une deux chevaux… C’est une scène qui est longtemps restée dans les annales locales. Mais à la réflexion, je ne suis pas certain d’avoir grimpé dedans… Ce n’était pas dans mes façons de faire, je redoutais ce qu’auraient pu en dire et ma mère, et mon père… Les peupliers se penchaient comme pour écouter une confidence. Je n’avais pas les mots pour exprimer mes sensations ; je mis encore plusieurs années pour tenter de dire le reflux des émotions… ce mot galvaudé depuis par la télévision et qui aujourd’hui pue…

Le buffet était joyeux et festif, et moi je regardais les filles par en dessous de ma mèche longue, pour cacher ce visage ingrat, mes dents abîmées, et la violence de mes idées folles et justes.

Je me souviens… Une fille m’a invité à danser… ou bien était-ce le jeu de ne laisser personne sur les côtés de la piste ? Ou alors fis-je l’effort surhumain de l’inviter ? Au cirque de la mémoire, les gouffres augmentent chaque année, mais aussi elle se fait plus précise et les souvenirs remontent dans un étranglement de gorge.

J’ai toujours aimé avoir des femmes au cœur de mes bras… Avec l’illusion que je rassure dans des bras forts et leur tête sur ma poitrine, rarement plus haut il est vrai tant ma taille pouvait être considérée comme anormale… Alors que j’aurais voulu qu’elles m’étreignent et bouchent ma bouche pour ne plus m’entendre hurler, en me parlant tout doucement à l’oreille pour me rassurer des douleurs et de la mort qui avait failli m’étouffer…

Elles n’ont jamais compris le message.

C’est à cette époque que je choisis mon camp… pour une histoire de fille. Pour ne pas être de son côté, à elle, pour m’opposer, pour la rejeter et être à la fois plus proche. Mon manichéisme de façade fit qu’elle appartint à la caste que je choisis de fait et de plein gré… J’en ris encore maintenant. De cette manière, je n’ai pas choisi le pire et me suis tenu longtemps éloigné du camp de la haine…

Les années nous ont rattrapé et la peur n’a pas retrouvé son chemin. Les années sont passées et ne se revivront jamais.

Les bouteilles furent ouvertes et c’est, je crois, à cette époque que je me réfugiais systématiquement dans l’alcool que j’aimais bien. Il me donnait l’illusion d’être un autre, plus courageux, plus fort et de fait beaucoup plus intelligent.

 

 

 

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commentaires

P
<br /> <br /> Merci Marie Ella de m’avoir suggéré de lire ce billet sur le blog – je crois que j’avais déjà lu ce texte auparavant (ou un autre, qui parlait de la même journée ? Jean Michel, à l'aide ! )<br /> , mais avec la dédicace il prend une tout autre saveur ! et que dire du commentaire de Marie Ella…<br /> <br /> <br />  Je n’ai rien oublié.  Ce qui est amusant (intéressant ?) (surprenant ?) (terrifiant ?) c’est de voir comme la même histoire peut<br /> être vécue différemment par les protagonistes ! je ne me souviens pas d’habits pauvres…je me souviens de la deux chevaux, d’un paquet de Pepito, du beau temps, du bonheur d’être ensembles,<br /> de l’admiration que j’avais pour vos convictions , je me sentais bête et gamine à vos cotés …<br /> <br /> <br /> Comme quoi<br /> <br /> <br /> Merci en tout cas à vous deux pour ce moment d’émotion retrouvé.  On vit avec ses souvenirs…toujours et de plus en plus... ben oui, on vieillit,<br /> quoi !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Je  pourrais écrire la même chose, tant j'ai l'impression d'être passé à côté de tout et de tous, mais où donc avais-je les yeux? de l'impatience ou de l'errance je ne sais ce qui m'attirait<br /> le plus. Mais je ne suis pas passé à côté de Pascale, insinctivement je l'ai bcp aimée, elle est solaire.<br /> <br /> <br /> <br />
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