Introduction - 2 -
La conférence de Kazan
ou l’approbation du cosmos
La poésie a vécu, et les discours sur elle pareillement. Il faut en finir avec cette vision, périmée et nostalgique, du fait littéraire — de l’acte poétique.
Soyons, dans un premier temps, modestes. Nous n’apportons rien au monde tel qu’il se consume. Nous avons perdu, de notre superbe et de notre charme. Nous avons tellement perdu. Et, pourtant, cela ne sert à rien de désespérer. Il faut « encore » lutter.
S’il lui reste une utilité, le poète se doit de la placer au service du bien commun. Plus que jamais, aujourd’hui, il demeure la voix des sans-voix.
Les grands médias ont triomphé.
A présent
« revenu de tout
sans être allé nulle part
je consulte le ciel
et le beau souvenir
d’un chant de matelots »
Jean-Claude Pirotte, Faubourg.
Il fait beau sur la misère ce soir d’octobre
Comme un reste de printemps ou d’été
Comme le souvenir le plus aigu de la muraille
Comme l’aube qui se lève au mitan de midi
Comme l’absente à qui l’on a fait un serment
Et qui n’a pas su retenir son souffle
Qui n’a pas su dire non plus puis est partie
Loin là-bas très loin
Comme le solitaire dévoyé et à jamais intempestif
Il fait beau comme la nuit
Beau encore comme la douleur
Et j’entends comme une chanson
Ces vers de Nicolas Guillèn
En lui Cuba s’endort maintenant
Et Cuba déjà se réveille et se lève
D’un bond d’un seul
Cuba marche à ma rencontre
Je ne sais plus pourquoi je vis
Je ne sais plus vers qui je vais
Je ne sais plus pourquoi
Depuis mon premier jour
J’ai tout le temps écrit
Je ne sais qu’entendre ou écouter
La vie derrière la vitre embuée
La vie dans ses moindres détails ses moindres reflets
Je ne regrette rien et je n’ai rien perdu
Je marche je vais mon chemin
En plein jour ou dans la nuit
« L’aube dissout les monstres »
Et il paraît que j’ai tout le temps menti
Il fait beau mais il ne fait pas bon
Se tenir debout trop souvent
A l’arrière des wagons-lits
La pluie le vent le reste
La mémoire est intacte suprême
Plus que 45 minutes
Avant le sourire ou l’ennui
Le temps n’en peut plus
De prévoir ou d’attendre
Sale temps donc pour les poètes
Sale temps maintenant pour longtemps
Il ne fait plus jamais beau
Dans mon sang sur mes os ma peau
Il ne fait plus beaucoup couler d’encre
Dans les veines égarées de la nuit
Le poète à qui l’on a désobéi
A qui l’on a tout le temps menti
A présent à présent
Sale temps pour les poètes
En effet, sale temps pour les poètes à présent. Mais cela n’est pas très (trop) grave… Il existe, encore et surtout, mille et une raisons d’espérer et de lutter…
Mille et une raisons.
Thierry Renard